Le retrait le 11 août du classement d’une partie de la forêt d’EBO dans le domaine privé de l’Etat, est loin d’avoir sonné la fin des batailles. Il a semblé plutôt ramener tous les acteurs au même pied d’égalité. Entre les exploitants forestiers, les ONG internationales, les populations locales quant à elles n’entendent plus être reléguées au second plan.
Mais comment réintégrer ce vaste massif forestier de près 1600 km2, complètement enclavé avec d’énormes collines et traversé par de nombreux cours d’eaux? IL n’y a ni pistes, ni ponts, ni d’autres infrastructures. Les 177 projets du plan communal de développement de l’arrondissement de Yingui pour un montant estimatif de 17 milliards n’effleurent aucunement cette problématique. C’est pour toutes ces raisons que certains ressortissants de la localité, réunis sous le couvert d’EXODUS BANEN, un groupe de réflexion ont organisé une conférence virtuelle le 28 août 2020 pour proposer des solutions à un retour durable sur leurs terres ancestrales.
Un fonds d’investissement pour la création de trois entreprises
L’idée principale, animé par le conférencier du jour Emmanuel Difom, Expert comptable, tournait autour de la mise en place d’un fonds d’investissement, une holding à capital variable dont l’objectif est de financer la création de 3 grandes entreprises considérées comme de véritables leviers de développement à EBO. Une idée largement partagée par la cinquantaine de participants issus de tous les secteurs, et de tous les milieux.
En pole position des entreprises, une coopérative agricole. Elle sera chargée de la relance de la production agricole et halieutique par l’acquisition et l’exploitation commune des équipements et des intrants agricoles, la création de fermes communautaires, la commercialisation des produits agricoles d’une part; et de la mise en place des unités de transformation d’autre part. L’objectif final étant centré sur la qualité de la production, afin d’imposer un label EBO; Mais tout cela ne saurait se faire, sans pistes, sans énergie, sans bâtiments, et encore moins sans main d’œuvre. D’où la création de deux autres entreprises.
La charge de la création des infrastructures est revenue à la Société d’Aménagement de la Forêt d’Ebo (SAFE). Il s’agira donc pour la SAFE d’acquérir des engins de Génie civil, de mettre en place des briqueteries, de construire des ouvrages à la carte, des logements de passage, de mettre en place des réseaux d’électrification et d’adduction en eau potable.
La troisième entreprise quant à elle sera chargée de la gestion de la main d’œuvre à travers la formation et la mise à la disposition de la main d’œuvre agricole, le transport et la logistique.
Appel à manifestation d’intérêt : plus de 400 parts souscrits en une journée !
Pour passer des paroles à l’acte, un appel à manifestation d’intérêt a été lancé séance tenante pour la constitution du capital du Fonds d’Investissement en création. Il sera détenu à 51% par les Banen. Les investisseurs privés et institutionnels pourront y détenir les actions à hauteur de 20%; le reste sera détenu par les salariés et autres Banen. La part nominale a été fixée à cent mille francs. Pour la seule journée du 29 juillet, plus de 400 parts ont été souscrites pour plus de 40 millions de FCA. La date butoir pour la souscription des parts a été fixée au 30 octobre 2020, et celle de la libération d’au moins 50% des parts au 31 Décembre 2020. Plusieurs groupes de travail ont été créés, ainsi qu’un comité de suivi mis en place.
Ainsi donc les Banen de tous bords se sont retrouvés pour parler pendant près de trois heures d’affilés des conditions de retour vers leurs terres ancestrales. En toute objectivité, lucidité sans parti pris, et surtout avec beaucoup de courtoisie. C’est un premier pari gagné qui augure de nouveaux horizons.
Fin du feuilleton de la forêt d’EBO ?
Cette détermination des Banen pourrait venir sonner le glas du feuilleton de la forêt d’EBO; mondialement connue pour sa biodiversité, c’est un vaste massif qui s’étend sur près de 1600 km2, à cheval entre les régions du littoral et du centre du Cameroun. Les Banen un peuple autochtone vivant dans cette localité depuis fort longtemps, ont été forcés à abandonner leurs terres lors des troubles sociopolitiques qu’a connu le Cameroun pendant les années 1960. En effet certaines forces nationalistes s’étaient repliées dans la région dont le massif forestier constituait une zone de refuge par excellence. C’est pour faciliter la pacification de cette région, que l’Etat du Cameroun à travers ses autorités administratives avait pris un certain nombre de mesures dont l’une des plus marquantes fut l’arrêté préfectoral de KOUNGOU EDIMA FERDINANG du 31 juillet 1963 qui transformait les territoires des cantons Indiknanga et Indiktuna en « zones interdites ».
Depuis cette date, les Banen ne sont plus retournés sur leurs terres et la nature a repris son cours normal. Sur plus de 13000 personnes dénombrées en 1953 dans ce vaste espace du territoire Banen, seules 1300 personnes (chiffres Elécam) y vivent aujourd’hui. Le reste de la population Banen dont le total est estimé aujourd’hui à près de 300 000 personnes est disséminée partout au Cameroun et dans le monde.
En 2006, poussés par les ONG internationales spécialisées dans la protection de la nature, le Gouvernement a voulu en faire un parc. Projet rejeté par les populations locales. Rebondissement spectaculaire en 2020. Le gouvernement y projette l’exploitation forestière au travers de deux unités forestières d’aménagement (UFA), concrétisée par la signature le 14 juillet d’un décret du Premier ministre Joseph Dion Ngute, classant ainsi une partie de cette forêt (68000) hectares dans le domaine privé de l’Etat. Colère des ONG et de la population locale. Suite à cette mobilisation internationale, le Gouvernement recule et le même Premier Ministre est sommé par le Président de la République PAUL BIYA de retirer son décret. Ce qu’il fait le 11 août 2020, moins d’un mois après la signature du premier.
Aujourd’hui les populations Banen sont conscientes que c’est bien le dernier combat de quitte ou double entre d’une part l’appétit vorace des ONG qui réclament un parc National sur l’ensemble de cette superficie au nom de la ‘préservation de la biodiversité’ et d’autre part la puissance financière des grands groupes forestiers intéressés par l’exploitation du bois qui ont voulu faire un passage en force. Entre le business du bois, la préservation des singes, gorilles et autres grenouilles Goliath, l’homme Banen veut désormais être placé au centre.